notice rédigée par Fanny Maillet


(A) la prose 

auteur: anonyme

dédicataire: non mentionné

datation: ca 1480 (date présumée de l’editio princeps

- Doutrepont 1939, pp. 259-261

- témoins:

(1) Lyon, Guillaume Le Roy, ca 1480 (texte édité par Maillet – Trachsler)

(2) ms Oxford, Bodl. Libr., Lyell 48

organisation du texte

La prose transmise par ces deux témoins, qui donnent un texte identique à de rares exceptions près, représente une version encore plus synthétique que celle du Cleomadés (voir notice). Le titre est indiqué dans l’incipit de l’incunable: «Cy commence le livre de Clamadés, filz du roy d’Espaigne, et de la belle Clermonde, fille du roy Carnuant» (a1r); et repris sous une forme très abrégée dans l’explicit: «Cy finist Clamadés, livre tresexellent et piteux» (e3r). Pas de prologue. La matière est divisée en 39 fragments, signalés par des lettrines, mais dépourvus de titres.

L’onomastique de Clamadés, différente de celle de Cleomadés, confirme l’hypothèse de deux auteurs différents pour les deux versions (voir éd. Maillet – Trachsler pp. 46-50).

Pour le traitement des insertions lyriques, on verra la notice Cleomadés.

Pour ce qui regarde le récit à proprement parler, le texte de cette version présente certaines incohérences narratives, du moins certaines invraisemblances, et une structure narrative boiteuse à certains endroits. Citons à titre d’exemples:

(1) «Et adoncques trouva le seigneur du chastel qui estoit conte […]». L’éd. Maillet – Trachsler (pp. 69 et ss., p. 227 et p. 279) propose de lire conté (‘qui a été mentionné’?), en soulignant ici une contradiction narrative avec la suite du récit, si l’on comprend que «seigneur du chastel» désigne le roi de Toscane. Ce dernier ne devrait effectivement apparaître qu’après un rebondissement dans l’intrigue (comme dans le Cleomadés, voir notice), lorsque le géant gardien de la chambre de Clarmonde l’alerte de la présence de Cleomadés au sein du château. S. Marcotte défend cependant la validité de la lecture conte par des arguments convaincants dans son compte rendu de l’édition (cf. infra). Ce personnage, quel que soit son statut dans l’histoire, désigne à plus grande échelle un défaut de cohérence, voire de cohésion diégétique, l’intrusion du protagoniste étant censée se faire dans le plus grand secret: le faste du banquet dont se repaît le héros à discrétion paraît pour le moins inopportun.

(2) «Et advint que Bruns avoit une cuisse soubz son cheval, parquoi ne se povoit lever, et tandis Odouart, qui avoit le bras couppé, persecutoit fort Durbans. Et Clamadés de rechef vint sur luy et le frapa par telle maniere que depuis il ne mengea. […] Et aprés Clamadés dit a Durbans qu’il priast au roy que Bruns le Hardy et l’aultre chevalier, qui avoit eu le bras coupé, fussent delivrés et que le roy les quitast […]» (éd. Maillet – Trachsler, pp. 259-260). Si l’on suit le déroulement de cette scène de combat, il n’est plus temps d’accorder grâce au champion Odouart puisque le texte nous dit un peu plus tôt qu’il a été victime d’un coup fatal (c’est en tout cas ce que laisse entendre la métaphore «depuis il ne mengea»).

(3) Dans une perspective analogue, signalons enfin l’utilisation non suivie de motifs comme celui du gant perdu, que recueille le héros après la disparition de sa bien-aimée Clarmonde. Véritable objet de mémoire rythmant la quête du chevalier dans le Cleomadés en vers et en prose, il apparaît ici de façon tardive et incongrue, ce qui amenuise de beaucoup sa portée symbolique et narrative (voir l’éd. Maillet – Trachsler, pp. 63 et ss., p. 250 et p. 281). On pourra noter un traitement similaire à l’égard des personnages, comme le roi Gardent des Monts ou la mère de Clarmonde, dont on n’apprend, respectivement, l’existence ou la mort qu’au moment de clore le récit, l’auteur réglant ainsi le sort de ces protagonistes (certes secondaires) de manière expéditive. 

  


(B) la source

Adenet le Roi, Cleomades, achevé en 1285; 18698 octosyllabes dans l'éd. Henry

 


(C) histoire de la prose

Sans opérer de profondes modifications par rapport à l’editio princeps, les éditions successives suivent cependant la tendance à l’abrègement et semblent se découper en deux familles principales, représentées d’un côté par les éditions lyonnaises et celle de P. Schenck, de l’autre par les éditions parisiennes et troyennes. Une étude comparée de toutes les éditions est en préparation par F. Maillet. En plus de la princeps, on compte trois incunables:

(1) Vienne, Peter Schenck, 1484

(2) Lyon, Jean de la Fontaine, 13 novembre 1488

(3) Troyes, Guillaume Le Rouge, vers 1493

Le succès de Clamadés se poursuit aux XVIe et XVIIe siècles:

Lyon, Didier Thomas, 1502

Paris, Michel Le Noir, s.d. [début XVIe siècle]

Lyon, Jean de Vingle, 1516

Paris, Alain Lotrian pour Jean II Trepperel, s.d. [après 1529]

Troyes, Nicolas Oudot, s.d. [première moitié du XVIIe siècle]

Lyon, Chastelard, 1620

- Bibliothèques du XVIIIe siècle

Aventures de Clamades et de Clarmonde, tirées de l'espagnol par Mme Le Givre de Richebourg, Paris, Morin, 1733 [traduction très libre depuis la version espagnole: voir infra]

Histoire et chronique du vaillant chevalier Cléomadès et de la belle Clarémonde, in Bibliothèque Universelle des Romans, avril 1777, I, pp. 168-225 [par le comte de Tressan]

Aventures de Clamadès et de Clarmonde, in Bibliothèque Universelle des Romans,février 1785, pp. 3-64 [réécriture anonyme librement inspirée de la version de Mme Le Givre de Richebourg]

A. Delvau, Bibliothèque bleue. Réimpression des romans de chevalerie des XIIe, XIIIe, XIVe, XVe et XVIe siècles, III, Pierre de Provence (1492), Cleomadès (1510),Paris, Lécrivain et Toubon, 1859, pp. 20-37 [réimpr. sous le titre Collection des romans de chevalerie mis en prose française moderne, avec illustrations, Paris, Librairie Bachelin-Deflorenne, 1869, III, pp. 212-229] [Delvau s’appuie sur la version de Tressan]

Le sens et la chronologie des échanges linguistiques d’une rédaction à l’autre étant encore incertains, il convient de parler de versions plutôt que de traductions:

- en castillan, éditions: Burgos, Alonso de Melgar, 1521; Burgos, Phelipe de Junta, 1562; Alcalá de Henares, Juan Gracian, 1603 [sur cette version, qui s’accorde, à quelques détails près, de Clamadés,  voir l’éd. Maillet – Trachsler, pp. 35-36];

- en allemand [milieu du XVe siècle: cf. H. Frölicher, Thüring von Ringoltingen's ’Melusine’, Wilhelm Ziely's ’Olivier und Artus’ und ‘Valentin und Orsus’, und das Berner Cleomades-Fragment mit ihren französischen Quellen Verglichenrich, thèse de Zürich, Solothurn, 1889, pp. 52-58]. 

 


(D) bibliographie 

(1) édition

F. Maillet et R. Trachsler, Le cheval volant en bois. Edition de deux mises en prose du Cleomades d'après le manuscrit Paris, BnF, fr. 12561 et l'imprimé de Guillaume Leroy (Lyon, ca. 1480), Paris, Classiques Garnier, 2010

(2) bibliographie critique 

Woledge 1954-1975, n. 117

A. Martinez-Pérez 1999a, «De Adenet le Roi a las prosificaciones castellanas del caballero Clamades», Actes del VII congrés de l’Associació hispànica de literatura medieval, Castelló de la Plana, Universitat Jaume I, II, pp. 425-442

A. Martinez-Pérez 1999b, «En torno a la traducción castellana de Clamades y Clarmonda», Traducir la Edad Media : la traducción de la literatura medieval románica, Universidad de Granada, pp. 85-102

P. Pastrana-Pérez 2005, «El Cleomadès / Clamades: tradición, traducción y transmisión de un texto franco-español», in Relaçoes literariás Franco-Peninsulares, Lisboa, Colibri, pp. 55-69

D. Bohler 2010, «Du roman au récit 'light': la mise en prose de Cleomadés au XVe siècle. Réflexions sur le remaniement par abrègement», in Mettre en prose aux XIVe-XVIe siècles, Turnhout, Brepols, pp. 77-86

F. Maillet 2011, «Des ‘premiers’ en grand nombre: quel texte étalon pour le Cleomadès en prose?», in Original et originalité. Aspects historiques, philologiques et littéraires, Louvain, Presses Universitaires de Louvain, pp. 111-118

F. Maillet, fiche Clamadès sur la base ELR (en ligne)

F. Maillet 2014, «Les étapes lyonnaises dans le parcours éditorial de Clamadés», in Carte romanze, 2/2, pp. 321-339, 387-392

R. Trachsler 2015, «Du Cléomadés au Clamadés. Les mises en prose du roman d’Adenet le Roi», in Réécritures, Journées d’étude sur le Moyen Age français et roman, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, pp. 73-82

F. Maillet 2021, «Du roman au titre de librairie. Etude des procédés péritextuels des éditeurs du Clamadès pour faciliter l’accès à l’œuvre», in Stratégies d’élargissement du lectorat dans la fiction narrative, XVe et XVIe siècles, Paris, Classiques Garnier, pp. 131-159

A. Lambert 2020, «Les insertions versifiées dans les mises en prose épiques et romanesques», in Le Moyen Français, 86, pp. 27-49