(A) la prose
- auteur: Berthault de Villebresme (se nomme dans le prologue du ms unique, f. 2v, voir infra), juriste de la cour d’Orléans; il a été au service de Charles d’Orléans et a participé au concours de poésie de Blois sur le motif «je meurs de soif auprès de la fontaine».
- dédicataire: Marie de Clèves, veuve de Charles d’Orléans, et, à la fin du prologue, le futur Louis XII et ses sœurs (rappelons que Généalogie de Pierre Desrey, plus de trente ans après, aura aussi pour dédicataire le roi Louis XII: voir la notice); la maison de Clèves, après l’extinction de la maison de Boulogne-Bouillon, a prétendu descendre d’Hélias. Notons aussi que la troisième épouse de Charles d’Orléans a été élevée à la cour de Bourgogne, haut lieu de culture épique.
- datation: entre 1465 et 1473 (Emplaincourt, p. XIII) d’après les dates du veuvage puis du remariage de Marie de Clèves
- Doutrepont 1939, pp. 50-52
- manuscrit unique:
Copenhague, KB, Thott 416
- organisation du texte
Le texte est formé de 44 chapitres de longueur très inégale, fréquemment introduits par une formule référant au modèle utilisé (renvois à l’éd. Emplaincourt ch./p.): «Cy endroit dit ly contes» (3/7; 33/102); «En ceste partye dit l’ystoire» (5/12; 12/30; 17/47); «En ceste partie dit li contes» (27/87; 35/108; 39/121); «Cy endroit dit l’istoire» (37/116; 41/125).
La clôture des chapitres est fréquemment signalée par une formule de transition, montrant que l’on passe d’un sujet à un autre; elle est sans doute destinée à procurer une impression de variété: «Mais ycy laisserons a parler de Macaire qui porte les enffans noier et parlerons du roy Orient et de Mathebrune sa mauvaise mere» (fin du ch. 2, p. 7; voir aussi: 3/11; 4/12; 7/16; 9/24; 18/53; 22/69; 23/72; 26/87; 27/88; 28/92; 29/93; 30/96; 36/116; 33/104; 37/119; 39/125; 38/120).
Le prologue (c’est le premier chapitre et Emplaincourt le considère aussi en tant qu’introduction à l’œuvre) se lit aux ff. 2r-3v. La Naissance du Chevalier au Cygne occupe les ch. 2 à 19 (ff. 3v-44v) La prose raconte ensuite l’histoire du Chevalier au Cygne (ch. 20-36, ff. 45r-99v), puis la Fin d’Elias (ch. 37-42, ff. 99v-119r). Le ch. 43 (ff. 119r-122v) est consacré au préambule des Enfances Godefroi, avec le mariage d’Ydain et d’Eustache, comte de Boulogne, et l’annonce de la naissance de Godefroi et de ses frères, ainsi que de leurs futures prouesses.
Le 44e et dernier chapitre (ff. 122v-123v) présente la conclusion du narrateur, longue protestation d’humilité et prière d’intercession pour les descendants du Chevalier au Cygne.
L’écriture de Bertault, sauf dans le prologue et le chapitre de conclusion, est alerte, en dépit de l’usage, relativement classique dans les proses, des séries synonymiques – le plus souvent des doublets. Elle entretient de temps à autre la fiction de l’oralité, en invitant le destinataire de l’histoire à se souvenir de ce qu’il a entendu («comme ouÿ avés», éd. Emplaiincourt, pp. 16, 21, 30; «vous avez ouÿ cy devant», p. 24). Mais sa caractéristique principale est, comme le montre C. Gaullier-Bougassas (2005) la présence de fréquentes interventions de l’auteur, qui entend donner généralement une valeur édifiante à son récit. Honte aux femmes qui imitent la duplicité de Mathabrune, «ainsi que font souvent plusieurs femmes – et y sont naturellement enclines et duictes, mesmement quant elles vuellent celer et couvrir aucun meffaict» (p. 19). Honneur aux femmes vertueuses et réservées comme Ydain: «Une femme est digne de louenge qui mect son estudie a plaire plus par bonnes meurs que par ses tresses, plus par ses vertuz que par ses robes, qui est en mariage plus pour cause de lignee que de luxure, qui se delecte plus a enffans avoir par la grace de Dieu, en son mariage, que de nature» (p. 142). Ces interventions peuvent aussi prendre l’aspect d’une observation sociologique: à propos de la dure jeunesse des Enfants cygnes, il déclare par exemple: «Mais, bien souvent, ceulx qui sont si infortunéz et mal traictiéz en jeunesce sont a la fin plus eslevéz et viennent a plus grande perfection que ceulx qui mignotement et souefvement sont par grande cusançon et dilligence nourriz et chiers tenuz, ainsi qu’il appert en plusieurs anciennes histoires, meismes en l’istoire presente, et le voit on chacun jour par experience» (pp. 11-12). Et C. Gaullier-Bougassas de conclure: «Avec l’autorité d’un moraliste, le prosateur du XVe siècle ne cesse de présenter l’histoire qu’il relate comme un récit exemplaire, un récit dont les leçons sont intemporelles et donc toujours pertinentes pour les hommes et les femmes de son époque» (Gaullier-Bougassas 2005, p. 145).