(A) la prose
- auteur: Claude Platin, de l’ordre des Antonins. Il est également connu comme le traducteur de l’ouvrage de Juan Ortega (O.P.) ou Jean de l’Ortie, Oeuvre tressubtille et profitable de l’art et science de aristmeticque et geometrie (Composicion de la arte de la arismetica y juntamente de geometria, Lyon, 1512), Lyon, Etienne Baland pour Simon Vincent, 1515; et comme le traducteur de l’italien du Débat de l’homme et de l’argent (Contrasto dell’uomo e del denaro, anonyme, Bologne, vers 1500), Paris, [veuve Trepperel et Jean Janot, vers 1520], Paris, Jean de Saint-Denis, s.d., vers 1529; Paris, Alain Lotrian, s.d., vers 1530; Lyon, veuve Barnabé Chaussard, s.d. entre 1527 et 1528 ou 1533.
En dehors de ces deux traductions et de Giglan, rien n’est connu de Claude Platin. Aucune histoire de l’ordre des Antonins ne le mentionne. Ni La Croix du Maine, ni du Verdier ne le nomment dans leurs Bibliothèques françaises. Le second fait apparaître Le Romant de GIGLAN fils de Gauuain parmi les «Livres d’auteurs incertains» (éd. 1585, p. 538), sans donner ni date, ni lieu d’édition, ni nom d’éditeur. On est pourtant tenté de souligner les liens potentiels de Platin avec Lyon: son premier travail de traduction conservé est édité dans cette ville avec un privilège de deux ans émanant de la Chancellerie royale du 11 janvier 1515 (communication de William Kemp); il traduit alors un texte qui avait paru trois ans avant à Lyon, commissionné par un libraire barcelonais (Joan Trinxer) auprès d’un imprimeur d’origine catalane, Nicolas de Benedictis (Kirsop 1980, pp. 98-99). La maison des Antonins à Lyon donnait directement sur la rue Mercière, rue des imprimeurs.
- dédicataire: non mentionné
- datation: autour de 1520
- Doutrepont 1939, pp. 288-289
- manuscrits: Giglan n’est transmis que par des imprimés.
Les deux éditions les plus anciennes identifiées ne peuvent qu’être approximativement datées (voir infra): celle de Paris avant 1521, celle de Lyon entre 1512 et 1524. En l’absence d’un privilège et/ou d’un autre texte qui indiquerait explicitement le caractère premier d’une des deux impressions, il est impossible de dire si l’une d’entre elles fut véritablement princeps. Rappelons que pour la littérature en langue vulgaire surtout le taux de perte des éditions anciennes est important. Tout comme on ne peut dire de façon certaine, en comparant leur texte, quelles relations elles entretiennent: l’une copie-t-elle l'autre en y ajoutant corrections ou fautes? ont-elles plutôt un ancêtre commun? Reste singulier le fait que celle qui est attribuable à Claude Nourry ait pu paraître sans aucune indication de date, de lieu ou d’éditeur. Ce ne fut guère le cas chez cet imprimeur-libraire que pour des plaquettes ou des ouvrages censurés. S’agissait-il de permettre ainsi l’achat et la distribution du volume par d’autres libraires?
(1) Paris, Escu de France, s.d. [veuve Trepperel et Jean Janot, avant 1521]
(2) [Lyon, Claude Nourry dit le Prince, post 1512 et avant 1524]
- organisation du texte
titre (d’après l’exemplaire de Berlin de l’éd. [Lyon, Claude Nourry] puisque l'exemplaire de Göttingen de l'éd. Paris [veuve Trepperel et Jean Janot] est mutilé en ses premières pages): L’hystoire de Giglan filz de messire Gauvain qui fut roy de Galles. Et de Geoffroy de Maience son compaignon: tous deux chevaliers de la table Ronde.
Le titre de l’éd. de Paris offre ce même libellé court, tandis que l’éd. Nourry de 1530 poursuit ainsi: Lequelz feirent plusieurs et merveilleuses entreprises et eurent de grandes fortunes et adventures autant que chevaliers de leur temps, desquelles par leur noble prouesse et cueur chevaleureux vindrent a bout et honnorable fin comme on pourra veoir en ce present livre, lesquel a esté nouvellement translaté de langaige Espaignol en nostre langaige Françoys.
Dans les deux éditions Lyon et Paris, le texte est divisé en chapitres, dotés d’intitulés, qui sont soit précédés d’un pied de mouche (Lyon), soit imprimés en rouge (Paris). L’édition parisienne comporte une table des chapitres finale, avec une numérotation des chapitres absente du texte même (de 1 à 64). Cette table permet de comprendre que le prologue ne se limite pas à ce qui figure sous ce titre, puisqu’il est suivi d’une introduction consacrée à la cour d'Arthur, son histoire et ses coutumes. Le roman commence donc véritablement à la division suivante: «Comment il advint une merveilleuse adventure au roy Artus a Carduel a ung jour de penthecoste». Le découpage des deux éditions est identique.
Claude Platin a entrelacé les histoires de Giglan (le Bel Inconnu de langue d’oïl) et de Geoffroy de Mayence (le Jaufré de langue d’oc). Tous deux compagnons de la Table Ronde, ils ne se rencontrent pourtant jamais et ne font que se succéder à la cour arthurienne, au départ comme au retour. Les chapitres consacrés à Geoffroy sont les suivants: 1-6, 16-34, 49-53, 55-56, 58; et ceux qui retracent l’histoire de Giglan: 7-15, 35-48, 54, 57, 59-64. Cependant dans les chapitres 55-57 se retrouvent ensemble à la cour arthurienne le couple de Geoffroy et Burnichulde (mariage au ch. 56) ainsi que la reine de Galles, sauvée par Giglan mais abandonnée par lui au profit de la fée Helayne. Pour faire revenir le second héros, Arthur va faire crier un tournoi (ch. 57) auquel n’assistera pas Geoffroy car il part avec sa nouvelle épouse pour ses terres (même ch. 57).
Platin a réussi à créer un équilibre entre les deux héros: deux chapitres sont consacrés à leur mariage respectif en présence d’Arthur (ch. 57 et 62). Il a aussi enfermé les deux histoires entre les deux aventures d’enchantement qui ouvraient et fermaient (presque) Jaufré. Lors de la première, Jaufré n’est pas encore arrivé à la cour; dans la seconde, située juste après son mariage, il est un des témoins. Platin a alors remplacé un héros par un autre puisque le ch. 63 suit le mariage de Giglan et Emerye. D’autre part, ce n’est pas Arthur qui est seul emporté par l’oiseau; le roi n’est que le second après Gauvain, père de Giglan. Gauvain se trouve ailleurs mis en avant par Platin; les chapitres 8 à 13 empruntent une aventure au texte en prose de Laurin dont les héros étaient Laurin et Gauvain ainsi qu’une jeune femme du nom de Proserpine de Guymont (ici la damoiselle de Rochebrune). L’insertion crée un léger problème d’anachronisme puisque Gauvain, bien présent auprès d’Arthur au ch. 1, est donné comme absent depuis plus d’un an et présumé mort au ch. 8., alors que pareil laps de temps ne s’est pas produit. L’emprunt à Laurin témoigne cependant d’une lecture extensive de la matière arthurienne et des textes qui lui sont affiliés comme ce dernier (à la manière de Cligès, Laurin unit matière de Grèce-Rome et matière de Bretagne). Platin montre en d’autres endroits la connaissance qu’il a des classiques romanesques: après le mariage de Geoffroy et Burnichulde, il imagine une amitié particulière entre la femme d’Arthur et Emerye, la reine de Galles, «car elle l’avoyt trouvee si gracieuse qu’elle ne l’aymoit gueres moins qu’elle avoit aymé la dame de Malehaut qui fut aymee de Galehaut, qui fut roy des loingtaines isles, qui en son temps avoit conquis trente royaulmes et plus en eust il conquis, mais la grand amour qu’il eut a Lancelot du Lac l’en garda» (ch. 56). Cette référence au Lancelot-Graal est confirmée dans le chapitre d’introduction qui dit expressément baser ses connaissances de l’histoire de la cour arthurienne sur le «livre de la queste du sang greal». Mais Platin ne s’arrête pas là. Quelques exemples: dans ce même chapitre introductoire, il cite «Jehan Boccasse en son livre des nobles malheureux» à propos d’Arthur, Valère-Maxime sur la libéralité des Romains; au ch. 57, lorsque le narrateur annonce que Geoffroy ne reviendra pas pour le tournoi annoncé, il regrette cette décision anti-chevaleresque liée au trop d’amour qu’il porte à sa femme et il oppose la conduite de Lancelot et Tristan à celle d’Hercule amoureux qui se mit à filer, se référant à «Ovide en ses epistres» (il s’agit de l’Héroïde 9 de Déjanire à Hercule).
Ainsi Claude Platin mêle-t-il sources romanesques à des références plus savantes, ce qui tend à accentuer le caractère sérieux de son livre, y compris lorsqu’il reprend des épisodes comiques de Jaufré.