(B) les sources

On connaît trois proses rapportant l’histoire de Gérard, vassal rebelle de Charlemagne: celle du Myreur des Histors de Jean d’Outremeuse (voir notice), où le héros porte le nom de Gerart del Fraite; celle de notre ms Paris, BnF, fr. 12791, où il s’agit de Gérard du Frattre; celle de l’Histoire et ancienne chronique de Gérard d’Euphrate (voir notice Gérard d’Euphrate). Les deux premières ont pour modèle une prose non conservée, dérivée d’un remaniement de la Chanson d’Aspremont; la troisième prend pour point de départ le début de Gérard du Frattre et procède ensuite de manière autonome.

Pour ce qui concerne Aspremont,aucune prose autonome ne dérime la chanson de geste de la fin du XIIe siècle. Ce récit d’une victoire remportée par Charlemagne en Calabre sur les Sarrasins Aumont et son père Agolant, et qui rapporte les circonstances dans lesquelles Roland sauve la vie de son oncle et conquiert ses propres emblèmes (son épée Durendal, son olifant et son cheval Veillantif) a toutefois suffisamment marqué les esprits pour que deux compilations intègrent cette histoire, avec des modifications plus ou moins importantes: les Chroniques et Conquêtes de Charlemagne (voir notice) et le Gérard du Frattre.

La prose est attribuée au «treschatolicque archevesque Turpin». Les chansons de geste qui nous sont parvenues (Fierabras, Aspremont, Le Voyage de Charlemagne à Jérusalem) et dont l’action ne correspond que très partiellement aux trois grandes séquences de la prose, ne sauraient être sa source directe, tant les différences sont importantes. Le seul élément sur lequel nous pouvons nous appuyer est l’utilisation par le prosateur et par Jean d’Outremeuse d’un modèle commun pour la partie Pèlerinage, modèle antérieur par conséquent à la fin du XIVe siècle, qui pouvait être attribué à Turpin dans le ms fr. 12791 (ce que ne confirme pas la version du prosateur liégeois), en raison de la célébrité de la Chronique. Ce modèle pouvait lui-même remonter à une version remaniée de la Chanson d’Aspremont.

La partie Pèlerinage faisait-elle suite à la partie Aspremont ? La chose est vraisemblable puisque la rébellion de Gérard est présente à la fin de cette dernière, comme aussi dans la chanson du XIIe siècle. La «récupération» de Fierabras pourrait être due en revanche à l’invention du prosateur. En tout cas, celui-ci reconnaît au début de son ouvrage la pluralité des matières traitées par son modèle à propos de «Gerard du Frattre […] duquel ce present volume porte le non. Et combien que de plusieurs aultes belles et plaisantes matieres soit aorné, touttefois s’adonne nostre aucteur Turpin plus sur luy que sur aultres. Car pour ses faits merveilleux a voullu et luy a reservé ceste presente cronicque, laquelle a l’aide du speculateur des actes humains je sertifiray et metteray au net selon mon simple et rude entendement pour estre exibé a tous nobles lecteurs» (f. 2r).

Se pose également la question du Gérard du Frattre figurant dans la Bibliothèque de Jacques Le Gros dans l’inventaire daté de 1533. L. Delisle avait déjà reconnu qu’un certain nombre de titres font partie d’un ajout postérieur: les Angoisses douloureuses d’Elisenne de Crenne par exemple n’ont été éditées qu’en 1538. Par ailleurs la plupart des ouvrages figurant dans l’inventaire sont des livres imprimés; il n’en va pas ainsi de notre Gérard, puisque la première édition correspondant à un tel titre, sinon à son contenu, est de 1549. Le titre figurant dans l’inventaire correspond donc très vraisemblablement au Gérard figurant plus loin dans le ms, fr. 12791, manuscrit qui, comme l’inventaire, a été copié par Jacques Le Gros lui-même ou sur ses indications (Cooper 2012, pp. 4-6).