(A) la prose

- auteur: Gilles Corrozet

- dédicataire: non mentionné

- datation: ca 1530

- Doutrepont 1939, pp. 304-308

- manuscrits: aucun. La plus ancienne version conservée est contenue dans une édition imprimée par Alain Lotrian et Denis Janot, Paris, vers 1536

- organisation du texte

Précédé d’un prologue, le récit est divisé en 24 chapitres surmontés de titres qui servent à la fois d’annonces et de résumés.

Le translateur, dans son prologue, fait référence aussi bien à la source en vers qu’à l’histoire de Robert le Diable, père de Richard, bien connue des lecteurs (cf. notice). Il se nomme à la fin de son travail: «Je, Gilles Corrozet, simple translateur de ceste hystoire prie a tous lecteurs qu’ilz vueillent suporter les faultes qui y seront trouvees, car il eut esté impossible de le translater nettement pour le langaige corrumpu dont il estoit plain» (éd. Conlon, p. 109). Il faut néanmoins remarquer que le Roman de Richard en vers ne date probablement que de l’extrême fin du XVe siècle.

Corrozet ne se contente pas de rajeunir la langue du récit, il intervient dans l’agencement de la matière. S’il commence par mettre en prose la séquence des aventures diaboliques contenues dans le texte-source, il en ajoute d’autres à la suite, complétant le registre démoniaque: après la défaite du démon Brundemor, Richard doit faire face à un nouveau persécuteur, nommé Burgifer. Par l’amplification et la compilation de divers héritages (biblique, épique, arthurien), le texte remanié relève de l’esthétique du XVIe siècle. En libraire soucieux de répondre aux goûts de son public, Corrozet renforce surtout la tonalité merveilleuse, en ajoutant de nouvelles épreuves surnaturelles (tempête, voyage dans les airs) et en s’inspirant de la matière arthurienne (motifs de l’épée «enferrée» et du combat contre un géant). Il n’oublie pas la tradition courtoise (descriptions de joutes, remariage de Richard) pour faire de Richard un héros complet, au carrefour de la prouesse chevaleresque et de l’intrigue galante. Les additions peuvent aussi prendre la forme de commentaires; Corrozet avance ses propres explications sur des motifs fantastiques déjà connus: ainsi la «mesnie Hellequin» est désormais conduite par un mercenaire qui, ruiné pour avoir combattu au service de Charles Martel, a vécu de pillages et doit faire pénitence. Certains épisodes semblent s’inspirer de récents succès littéraires (notamment Perceforest), voire (mais l’hypothèse ne fait pas l’unanimité) du contexte politique (relations franco-anglaises) et religieux (débat sur le Purgatoire) du XVIe siècle. L’accumulation d’aventures témoigne d’une tendance à l’instrumentalisation du merveilleux, réduit à servir d’indice de prouesse en vue du processus d’héroïsation, au terme duquel le héros peut obtenir la main d’une riche héritière et la couronne d’un puissant royaume. De fait, si la version en vers s’achevait sur une tonalité pieuse (Richard s’affranchissant de ses démons pour se consacrer à une «saincte vie»), Corrozet lui substitue un dénouement mondain (le héros enlève et épouse la fille du roi d’Angleterre), susceptible de plaire aux «seigneurs et dames» nommés dans son prologue.