notice rédigée par François Suard
(A) La prose
- auteur: anonyme
- dédicataire: non mentionné
- datation: ante 1476 (ms n. 2)
- Doutrepont 1939, p. 126
- deux manuscrits (sigles de Suard 1978):
(1) Paris, BnF, fr. 5003 (A, numérisé dans Gallica)
(2) Vaticano, BAV, Reg. lat. 749 (B)
- organisation du texte
Le prologue est absent dans le BnF, fr. 5003 (f. initial manquant).
Le récit de type historique fait souvent place, pour la période des règnes de Charlemagne et de Louis son fils, à des résumés de textes épiques. Ceux-ci peuvent être interrompus, puis repris par la suite.
La Chronique commence par les origines mythiques de la Grèce, développe longuement le siège de Troie, présente l’histoire d’Eneas et l’arrivée de Francion dans le pays qui portera son nom, puis la fondation de Lutèce «a luto, c’est-à-dire pour la graisse du pais» (A, f. 17r), puis l’histoire de France poursuivie jusqu’en l’année 1380, avec la mort de Charles V et le sacre de son fils, les mauvais traitements infligés aux Juifs de Paris et la levée du siège de Nantes par les Anglais, au grand dépit de Jean de Montfort.
La particularité de cette chronique, remarquée par Fauchet dans ses annotations et à sa suite par de nombreux critiques, est d’insérer dans le fil de son récit des résumés plus ou moins développés d’œuvres littéraires, en particulier épiques. Gaston Paris, dans son Histoire poétique (passim) a signalé la plupart de ces résumés extra-historiques et reproduit quelques extraits. Nous reprenons cette liste, en ajoutant ou en précisant quelques éléments.
f. 83r-v: Histoire de saint Gilles; à comparer avec Tristan de Nanteuil.
ff. 85r-89r: Histoire, au temps de Dagobert, de Florent et Anthonien, le chevalier au lion. Elle paraît s’inspirer d’Octavian, le texte du XIIIe siècle, dont la mise en prose sera imprimée à Lyon dès 1500 (voir notice Florent et Lyon). A la fin de l’épisode, formule de transition montrant l’intention du prosateur et la conscience qu’il a d’une digression: «mais retourner nous fault a la matiere de nos croniques de France» (f. 89r).
ff. 91v-92v: Histoire de Berthe, femme de Pépin (note marginale de Fauchet, f. 91v: «Voiez le romans que Adenet a fait de Bertain».
f. 94r(fin)-v: Evocation des princes illustres du temps de Pépin et de Charlemagne: Doon de Mayence et sa lignée, Naimes et ses fils, Ogier, Salomon de Bretagne, Aymon et ses quatre fils, l’archevêque Turpin, Thierry l’Ardenois, la lignée de Guerin de Monglanne «dont yssi Olivier compaignon Roulant» et la lignée d’Aimery de Nerbonne qui eut sept fils, dont «Guillaume qui conquist Orenge qui puis occist Ysoré devant Paris le jaiant».
f. 95v: Histoire d’Ogier le Danois jusqu’à la conception de son fils Berthoullet (suit l’histoire de la «prise» de Saragosse; pas question de Roland).
f. 96r: Mention de Ganelon, qui a plusieurs frères et est jaloux de Roland.
f. 96r-v: Maquaire et la reine Sebile. Le récit s’arrête avec le duel entre le lévrier et Maquaire. Evoque la fontaine Aubery au bois de Bondy (note manuscrite de Fauchet au f. 96v: «fontaine Aubri au bois de Bondis; Verroquier»). Même f., addition marginale rectificative qui pourrait être de la main du copiste: «La cronique ne dit pas qu’il combatist le levrier. Il fut pris par souspecon por ce que le levrier luy coroit sus et fut jehainné et confessa la traison et fut decapité». Même f., note marginale de Fauchet: «Voyez Phebus comte de Fois au livre de la chasse de Gace de la Vigne».
f. 97r: Suite de l’histoire d’Ogier. Charles menace de faire trancher les oreilles d’Ogier en représailles de la mutilation imposée à aux messagers impériaux par son père. Les barons chrétiens l’en défendent, mais Ogier est longtemps considéré par Charles comme «son serf». Courte allusion à la guerre de l’empereur contre Gérard de Vienne et au compagnonnage d’Olivier et de Roland.
f. 97v: Conspiration des «Françoys orientelz» contre le roi à l’instigation d’Hardré, qui était frère du roi «de par pere»; d’autres chroniques le présentent comme neveu de Ganelon par sa sœur «et fut filz de la femme qui fut baillee a Pepin quant on luy changa la royne Berthe». Enumération des princes chevaliers de Charlemagne: «Naymon de Baviere, Aymon de Dourdoigne, Arnault de Biaulande, Arnault d’Espin (?), Sanses de Mont Royal qui fut duc de Beagne, Gerard de Roussillon, le roy Salmon de Bretaigne, Richard de Normendie, Gerard de Vienne, le duc Thierry d’Ardaine, Doon de Nantueil, Beuf d’Agremont … et auxy avoit le roy Gannes de Haultefueille Alory et Guion ses freres». Ganelon sait se faire écouter du roi grâce à ses paroles captieuses; il fait ainsi beaucoup de mal.
f. 98r: Trahison d’Alori qui abandonne l’oriflamme devant Rome; Ogier la relève.
f. 99v et ss.: Reprise de l’histoire d’Ogier, deshérité par sa marâtre après la mort de son père au profit de son demi-frère, ce dont Ogier n’a cure «car il amoit moult le pays de France» (f. 100r). Cause de la guerre: meurtre de Berthoullet par Charlot. Ogier est chassé de la cour et s’enfuit à Pavie après avoir été à Beaumont sur Oise et avoir combattu contre l’empereur. 100v: Hostilité de Roland à l’égard de Ganelon. Fuite d’Ogier vers Chateaufort; meurtre en chemin d’Amy et Amiles. Siège de sept ans. Stratagème des hommes de bois. 101r: capture d’Ogier par Turpin; il est mené à Reims. Le hanap que Turpin a fait fabriquer pour Ogier est encore à Laon. Broyer le jayant vient s’installer à un endroit «ou est a present assiste une petite ville fermee nomme Bruhieres pour cause de ce nom». 101v: au moment de tuer Charlot, Ogier voit son bras retenu et entend la voix d’un ange. Broyefort, lorsqu’il est retrouvé «traioit ou colier ung camion». Histoire (perdue) d’Aymer, d’Arnaïs d’Orléans et de Sansonnet (note marginale de Fauchet, erronée: «Guillaume d’Orange»): extrait dans G. Paris 1865, p. 403.
ff. 102r-v: Huon de Bordeaux. La chronique passe très vite sur le voyage «moult perilleux et merveilleux duquel Hue vint a son honneur de la volonté Nostre Seigneur» (102v). Aucune précision sur ce qui est demandé au héros, et il n’est pas question d’Auberon (peut-être parce que la véridicité d’une chronique l’interdit).
f. 102v et ss.: Début de l’histoire des quatre filz Aymon. Berthoulet est tué avec l’épée de Renaud; Charles met Aymon en prison et ne le libère que quand il a juré la guerre contre ses fils. 103r: Montessor. Rappel de la découverte de Baiart en l’île de Boucan par Maugis. Perte du château. Mort de Hue de Senlis. Fuite en Dordogne auprès du roi Yon. 103v: Renaud reçoit de Clarice, soeur de Yon, une manche avant de combattre le Begue de Toulouse; il épouse la dame. Fondation de Montauban et origine de ce nom. Ganelon attise la colère de Charles contre Renaud. 104r: guet-apens des «plains de Valcoullour», commandée par Fouques de Morillon. 104v: Renaud tue Fouques. Ogier arrive à la roche où sont réfugiés les frères et fait reculer ses gens. Maugis vient au secours; Renaud poursuit Ogier. 105r: suites de la bataille; duel de Richard et d’Olivier, de Renaud et de Roland. 105v: Yon écrit une lettre à Renaud pour lui demander de venir à son secours; il est exaucé. Richard est fait prisonnier. 106r: les principaux chevaliers de Charlemagne se jettent à genoux pour demander la grâce de Richard, qui est livré à Rippeu de Rippemont et conduit par lui au gibet. Ogier est prêt à intervenir, mais Renaud et ses frères sont en embuscade. 106v: Baiart éveille Renaud; Richard est délivré et Maugis pend Rippeu. Ogier fait semblant de poursuivre les frères; Maugis dérobe les épées des preux et apporte Charles dans un sac à Montauban. 107r: Renaud libère l’empereur et rend les épées. Eloge de Renaud par Roland. Hue de Monbendel veut faire parvenir des vivres à Renaud, mais Guenes le dénonce à l’empereur qui bannit Huon; celui-ci s’en va outremer «et par sa proesse conquist la cité d’Acre et en fut roy et fist de belles conquestes sus les Sarrazins». 107v: Yon (qui est prisonnier a Montauban) se réconcilie avec Renaud et lui donne la cité de Traimonne. Yon mène les fugitifs à Tresmonne. En se rendant vers cette ville, Charlemagne est capturé au cours d’une chasse dans la forêt; Renaud défend qu’on lui fasse aucun mal, mais Charles refuse de faire la paix. 108r: colère de Roland contre l’empereur; songe de celui-ci, qui voit Renaud «en habit de pelerin qui luy crioit merci et luy bailloit de nobles et saintes reliques qu’il avoit aportees d’oultre mer». Lettre de Renaud, qui emporte la décision, grâce à l’appui des princes. Charles fait mander Renaud. 108v: dernier suspens: en chemin, on rencontre une troupe, mais c’est celle des fidèles qui escortent le héros jusqu’à l’empereur. Renaud se soumet et Charles lui pardonne à condition qu’on lui rende Tremonne. Renaud pèlerin; il tue Robastre de Jérusalem dont le fils se convertit sous le nom de Baptamur. 109r: conquête du château de Constant, d’Angorie et des reliques. Aide demandée à Charlemagne par Renaud qui vient en France (il a laissé ses gens en Angorie). 109v: après une courte interruption, retour à l’histoire des fils de Renaud qui sont à Paris pendant que leur père est outre mer. Les fils de Rippeu (Alori, Guimard, Foucart et Gontart) font croire à Charles qu’Yvon et Aymon ont voulu le faire périr. Un duel est refusé, mais Renaud, qui revient d’outre mer, dit qu’il ne donnera les reliques que si justice est faite. Yvon jette son gage et combat seul victorieusement (110r). Fuite de Guenes à Hautefeuille («qui a present est dit Moymer», identification reprise en note par Fauchet), qui est assiégée. Retour de Renaud outre mer pour défendre la cité d’Angorie; Roland l’accompagne avec Olivier et d’autres chevaliers. Roland coupe le poing de Marsile «dont Marcille le haÿ moult mais il s’en venja de Rollans es plains de Roncevaulx par la traïson de Guenes ne demoura gaires apres qui fut une chetison pour le royaume de France». Guenes se réconcilie, grâce à ses ruses, avec Charlemagne.
f. 110r et ss.: Pèlerinage de Charlemagne à Jérusalem (d’après la légende latine). Prise de Jérusalem par les Sarrasins; 110v: Constantin appelle à l’aide; reconquête de la cité. 111r-v: don des reliques; miracles divers. Le chroniqueur évoque le nombre élevé de romans et d’histoires qui parlent de Charles.
f. 112r et ss.: Début du récit des expéditions d’Espagne d’après le Pseudo-Turpin: invitation faite à Charles par saint Jacques à se rendre en Espagne et à combattre les Sarrasins; 112v-113r: conquête de l’Espagne; malédiction de Charlemagne qui fait s’écrouler quatre cités, parmi lesquelles Luiserne, qui n’est pas nommée, mais désignée par le lac noir dans lequel nagent des poissons noirs. Lien opéré avec le cycle de Guillaume: il y avait dans cette ville un seigneur «nommé Achillant qui en eschappa et fist puis mains griefs aux crestiens. Et l’octist puis Vivien le nepveu Guillaume d’Orange qui fut moult bon et vaillant chevaliers» (112v).
f. 113r-v: Reprise de l’histoire de Renaud de Montauban. «Et pource que nous avons ycy parlé en nostre cronique des fais premiers de Regnault de Montaulban», le chroniqueur poursuit, avec l’intention de parler de «la fin de sa vie». Renaud revient en France, tandis qu’Yvon devient roi de Jérusalem et Aymon roi d’Angorie. Il se rend à Tremonne puis quitte un matin sa femme endormie. Episode de Cologne: la lettre que Renaud tient entre ses mains révèle les circonstances de sa mort. La nouvelle en est apportée à la duchesse. Yvon guerroie l’amiral Barré; l’empereur s’empare du fils de Renaud, et une guerre s’ensuit (113v).
f. 113v et ss.: Reprise de l’histoire des expéditions d’Espagne; expédition d’Angoulant; épisodes divers du Pseudo-Turpin; mort d’Angoulant tué par Arnault de Beaulande, fils de Guerin de Monglanne et père d’Emery de Nerbonne (115v); miracle des guerriers enfermés et retrouvés morts (116r); dispute théologique de Roland et de Fernagu (117r-118r); mort de Fernagu (118r-v) sans qu’il soit question de son nombril vulnérable; 118v: début de l’histoire de Marcille et Baligant; 119r: trahison de Guenes qui fait demeurer Rolland en Roncevaulx; Turpin part avec l’empereur; 119v: appel du cor, ralliement de Baudoin, vaine tentative de rompre l’épée Durendal; 120r: Baudoin prend l’épée et l’olifant et les porte à l’empereur; vision de Turpin; 120v: Olivier a été mis en pièces; Roland est inhumé à saint Romain de Blaives; Ganelon s’enfuit.
ff. 120v-121r: Prise de Narbonne par Aymery, fils d’Arnault de Beaulande.
f. 121r: Supplice de Ganelon à Laon, après le duel de Thierry et de Pinabel.
ff. 121v-122r: Histoire du tribut réclamé par Charlemagne et refusé par les barons français (extrait dans G. Paris 1865, p. 329).
ff. 122r-123r: Histoire de Richer et de Bertrand, fils de Naimes, et de leurs démêlés avec la lignage de Ganelon; elle est rattachée à l’histoire des fils de Renaud outre-mer (justification du pèlerinage de Naimes): résumé dans G. Paris 1865, pp. 323-24.
ff. 124r-125r: Siège mis devant Narbonne par les Sarrasins; exploits de Guillaume: le passage correspond aux Narbonnais, au Couronnement Louis et aux Enfances Guillaume.
ff. 125v-126v: Nouvelle allusion à l’histoire de la reine Sebile. Guillaume tue Arnëis et fait couronner Louis; conquête d’Orable et d’Orange; histoire de Renouart; descendance d’Aymery; siège mis devant Barbastre. Le passage correspond au Couronnement, aux Enfances Guillaume, au Siège de Barbastre.
ff. 127r-128r: Bataille d’Allechans; intervention de Renouart; victoire sur les Sarrasins; histoire ultérieure de Renouart (Chevalerie Vivien, Aliscans, Moniage Rainouart).
ff. 130v-131v: Histoire du combat de Guillaume contre Ysoré (Moniage Guillaume).
(B) les sources
Le chroniqueur cite vraisemblablement de mémoire, surtout lorsqu’il s’agit de simples allusions, plusieurs traditions épiques; pour d’autres récits, et notamment pour les plus développés, il a pu avoir un modèle sous les yeux. On distinguera ainsi:
1. la trace de textes perdus: chanson d’Aÿmer, Arnault et Sansonnet; tribut imposé aux barons; chanson de Richer, fils de Naimes.
2. des résumés trop succincts pour permettre d’identifier le modèle épique (en vers ou en prose) qui a été suivi: Huon de Bordeaux, Berthe aux grands pieds, Reine Sebile, Ogier le Danois.
3. des textes plus développés ou plus précis; les Quatre fils Aymon, qui renvoient à la version remaniée, vers ou prose, de la chanson; les extraits du cycle des Narbonnais, qui portent la marque du roman en prose de Guillaume d’Orange; l’histoire des expéditions d’Espagne, qui renvoie à une version du Pseudo-Turpin contaminée par un texte issu des Roncevaux; l’histoire de Florent et Anthonien, qui paraît renvoyer à Octavian.
(C) histoire de la prose
Aucune édition du XVIe siècle, aucune fortune ultérieure.
(D) bibliographie
(1) Le texte est inédit. Extraits dans diverses études ou éditions (voir infra).
(2) bibliographie critique
G. Paris 1865, Histoire poétique de Charlemagne, Paris, Franck, pp. 104-105, 323-324, 329, 403, 483-484 [liste des emprunts, quelques extraits]
F. Guessard 1866, Macaire, chanson de geste publiée d’après le manuscrit unique de Venise, Paris, Franck, pp. XXII-XXIII et 315-317 [extrait]
L. Demaison 1877, Aymeri de Narbonne, Paris, SATF, I, pp. CCLXXXVIII-CCXCI [analyse du passage concernant la prise de Narbonne]
L. Gautier 1878-1894, Epopées françaises, 2e édition, Paris, Palmé, I, pp. 486-487; III, p. 777; IV, p. 28 et 347n.
L. Delisle 1879, Bibliothèque de l’Ecole des chartes, 40, 1879, pp. 653-654; et Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 23/3, p. 199
P. Meyer 1884, Girart de Roussillon, Paris, Champion, p. CXV
E. Langlois 1888, Couronnement de Louis, Paris, SATF, pp. LXXXV-LXXXVIII [extraits commentés]
F. Suard 1978, «Guillaume d’Orange dans la Chronique de France jusqu’en 1380», in Romania, 99, pp. 363-388 (repris dans Chanson de geste et tradition épique en France au Moyen Age, Caen, Paradigme, 1994, pp. 323-348) [passages consacrés au cycle des Narbonnais; édition et commentaire]
L. Gemenne 2001, «Sansonnet: avis de recherche d’un orphelin épique», in L’Epopée romane au Moyen Age et aux temps modernes,Napoli, Fridericiana, II, pp. 665-676
Suard 2011, pp. 358-359
F. Suard 2015, «Renaut de Montauban et la Chronique de France jusqu'en 1380», in ‘Si sai encor moult bon estoire, chancon moult bone et anciene’. Studies in the Text and Context of Old French Narrative in Honour of Joseph J. Duggan, Oxford, The Society for the Study of Medieval Languages and Literature, pp. 237-260