(C) histoire de la prose

La première phase de la diffusion du texte de Prose 5 coïncide avec l’histoire du ms Royal (I.4 de notre liste). Réalisé dans un atelier napolitain lié à la cour de Robert d’Anjou et décoré par l’artiste napolitain Orimina, ce manuscrit passa en Espagne après 1367, faisant probablement partie de la rançon envoyée à Pierre le Cruel par Jeanne d’Anjou, la fille du roi Robert, pour payer la liberté de son troisième mari, Jacques de Majorque, capturé pendant la bataille de Nájera. En Espagne, il laissa des traces dans la tradition castillane de quelques textes de matière troyenne, avant d’arriver à Paris comme cadeau du nouveau roi d’Espagne Henri II au roi de France Charles V, qui l’avait aidé dans la campagne militaire contre son frère Pierre le Cruel. Deux inventaires de la bibliothèque royale du Louvre, fondée par le même Charles V et par son frère Jean, le bibliophile duc de Berry, datant de 1380 et de 1413, en attestent la présence à Paris. L’histoire du ms Royal se complète avec son passage à Londres en 1424, après la bataille d’Azincourt, quand le régent anglais de France Jean de Bedford transféra une grande partie de la bibliothèque royale dans la capitale britannique.

Avant de passer en Espagne, Prose 5 a probablement influencé quelques volgarizzamenti italiens d’œuvres de matière troyenne, dont la dépendance de Prose 1 s’explique vraisemblablement par la médiation d’un exemplaire de Prose 5 (voir Punzi 2004, pp. 188-199).

La question des liens de Prose 5 avec quelques compilations de matière troyenne de la tradition castillane présente des aspects qui n’ont pas encore été éclairés. Le manuscrit Escorial, B. Mon., H-I-6, daté au 1350 mais probablement postérieur à 1370, contient une version espagnole du Roman de Troie et est décoré par des enluminures au style archaïsant qui montrent des analogies surprenantes avec les miniatures du ms Royal; mais déjà la General Estoria, compilation d’histoire universelle réalisée sous la direction d’Alphonse X le Sage entre 1270 et 1284, contenait une traduction de onze épîtres ovidiennes, qui toutefois est beaucoup plus fidèle à l’original latin et ne semble pas avoir de rapports avec les textes français insérés dans Prose 5.

Il faudrait encore sonder les rapports éventuels entre le Roman de Troie en prose et le Trojanerkrieg de Konrad von Würzburg (1280-1287), qui contient aussi des extraits de quatre épîtres ovidiennes dans le même ordre que Prose 5.

On sait bien par contre que dès son arrivée à Paris le texte de Prose 5 a été rapidement copié et diffusé, comme l’attestent en particulier les manuscrits BnF, fr. 301 (ms I.9) et Stowe 54 (ms I.5) de Londres – qui entretiennent avec le ms Royal des liens textuels et iconographiques directs – et toute la riche tradition manuscrite du XVe siècle qui en dérive.

Le texte de Prose 5 est encore copié au XVIe siècle (cf. mss I.1 et I.10 de notre liste), mais après cette période il est vraisemblablement tombé dans l’oubli et a demeuré inédit jusqu’à nos jours.