notice rédigée par François Suard


(A) la prose

- auteur: Jean Bagnyon (1412- ?), notaire impérial à Lausanne en 1463, syndic de la ville en 1481, puis bourgeois de Genève en 1487

- dédicataire: Henri Bolomier, chanoine de la cathédrale de Lausanne

- datation: ante 1470/1478 (date du ms G)

- Doutrepont1939, pp. 94-102

- deuxmanuscrits (sigles de Keller)

(1) Genève, BPU, ms fr. 188 (G, ms de base pour l’éd. Keller)

(2) Cologny-Genève, B. Bodmer., fr. 15 (B)

- organisation du texte

La matière est divisée en trois livres, comprenant chacun trois parties, sauf le troisième qui n’en comprend que deux. Le premier (treize chapitres) décline l’histoire des rois de France depuis les souverains légendaires jusqu’à Charlemagne, dont est contée l’expédition à Jérusalem et Constantinople: l’empereur lui remet les reliques de la Passion. Au début du second livre, revenant sur le premier, Bagnyon déclare: «Mais ce que j’ay dessus escript, je l’ay pris en ung autentique livre nommé Miroir Historial et és croniques anciennes et l’ay tant seullement transporté de latin en françois» (G, f. 13v, éd. Keller p. 27).

Le second livre (49 chapitres) est la mise en prose de la chanson de Fierabras, qui omet le retour de Charlemagne à Paris (vv. 6313-6408). Le prosateur décrit ainsi son travail: «Et la matiere suyvant est d’un roman fait a l’ancienne façon, sans grant ordonnance, dont j’ay esté juste a le reduyre en prose par chappitres ordonnés. Et se dit celluy livre selon les aulcuns et le plus communement Firebras…» (ibid.) La première partie, qui contient dix-sept chapitres, est consacrée au combat d’Olivier et de Fierabras et se termine avec la récupération du géant par Charlemagne, sa guérison et son baptême sous le nom de Florent (le ms B et l’editioprinceps incorporent ces derniers éléments dans la seconde partie). Celle-ci contient seize chapitres. Elle conte l’emprisonnement à Aigremore d’Olivier et de trois autres pairs, leur libération par Florippes, l’ambassade de Naimes, Roland, Gui de Bourgogne et leurs compagnons à Aigremore avec l’épisode du pont de Mautrible, l’amour de Florippes pour Gui de Bourgogne, les exploits des Français et le siège qu’ils endurent dans le château de l’amiral. La troisième partie (seize chapitres) est consacrée à la rescousse des Français et à leur victoire sur Baland ainsi qu’à ses conséquences: mort de Baland, baptême de Florippes, qui épouse Guy de Bourgogne, et donne les reliques à Charlemagne.

Le troisième livre est l’histoire des expéditions de Charlemagne en Espagne d’après la tradition du Pseudo-Turpin; il est divisé en deux parties. La première (14 chapitres) va de l’apparition de saint Jacques jusqu’à l’établissement de la basilique qui lui est consacrée comme église métropolitaine de Galice et de toute l’Espagne. La seconde (10 chapitres) raconte la bataille de Roncevaux, la mort de Roland et la vision de Turpin, le jugement de Ganelon et le retour de Charlemagne en France. Le neuvième chapitre est la récapitulation de l’ensemble de l’œuvre et le dixième, symétrique du prologue, une réflexion sur les enseignements à en tirer, avec des indications sur le translateur et son commanditaire.

 


(B) les sources

Le Fierabras de J.B. est constitué de trois parties aux sources reconnaissables:

- Vincent de Beauvais, Speculum historiale, pour la première partie, avec des emprunts ponctuels possibles au Pseudo-Turpin et au De regimine principum de Gilles de Rome, éventuellement connu à travers l’adaptation de Jean Wauquelin, Le livre du gouvernement des princes (1450).

- La chanson de geste de Fierabras pour la seconde partie.

- Pour la troisième partie, une traduction du Pseudo-Turpin d’après les chapitres 6 à 25 du livre XXIV du Speculum historiale de Vincent de Beauvais, associée à une version indépendante du même Pseudo-Turpin.

Fierabras, chanson de geste du XIIe siècle (vers 1190), compte 6408 alexandrins, rimés pour la plupart: voir Fierabras anonyme. Jean Bagnyon s’inspire de la version longue, sans qu’il soit possible d’identifier un ms précis (Keller, p. XV; de Mandach 1987, p. 155).

 


(C) histoire de la prose

Dix incunables:

(1) L’editio princeps fut imprimée à Genève avec les caractères d’Adam Steinschaber, 1478

(2) Genève, Simon Dujardin [vers 1479]

(3) Genève, Louis Garbin, dit Cruse, 1483

(4) Lyon, Guillaume Le Roy, [5 juillet 1484-87]

(5) Lyon, Guillaume Le Roy, [16 novembre, 1484-87 ou 1483-84]

(6) Lyon, Guillaume Le Roy, [20 janvier 1487]

(7) Lyon, Jacques Maillet, 21 juillet 1489

(8) Lyon, [Martin Havard], 20 novembre 1496

(9) Lyon, Pierre Mareschal et Barnabé Chaussard, 4 avril 1497

(10) Lyon, Martin Havard, 1499

On dénombre une vingtaine d’éditions au XVIe siècle:

Lyon, Pierre Marechal et Barnabé Chaussard, 1501

Rouen, François Regnauld, s.d. [1515]

Paris, Michel le Noir, 1520

Paris, Nicolas Chrestien, 1521

Paris, Alain Lotrian, s.d.

Rouen, Jean de Burges, s.d. [1530]

Paris, [Alain Lotrian pour Jean II Trepperel], s.d.

Lyon, Pierre de Sainte-Lucie, 1536

Paris, Jean Bonfons pour Pierre Sergent, s.d. [1547]

Paris, pour Jean Bonfons, s.d. [1550]

Lyon, Pierre de Sainte-Lucie, 1552

Paris, pour Jean Bonfons, s.d. [1560]

Paris, Nicolas Bonfons, s.d. [1570]

Lyon, François Arnoullet, 1575

Lyon, Benoît Rigaud, 1575

Paris, Nicolas Bonfons, s.d. [1580]

Lyon, Benoît Rigaud, 1584

Louvain, Jean Bogard, 1588

Rouen, chez Louis Costé, s.d. [1600]

Le titre que l’on lit dans les premiers incunables – Roman deFierabras, ou, simplement, Fierabras – devient, à partir de l’édition de Martin Havard de 1499: La conqueste que fist le grant roy Charlemaigne es Espaignes, avec les nobles prouesses des douze pers de France et aussi celles de Fierabras. Cet intitulé, avec quelques variantes, figure dans toutes les éditions du XVIe siècle.

Passage dans la littérature de colportage: à Troyes (voir Morin, n. 162-170), Lyon, Paris, Rouen, Louvain, Montbéliard.

Bibliothèques du XVIIIe siècle

Bibliothèque Universelle des Romans, août 1777, pp. 122-128 [Texte probablement tiré de Jean Bagnyon]

A. Delvau, Fier-à-bras, Collection des romans de chevalerie mis en français moderne, I, Paris, Librairie Bachelier-Deflorenne, 1869, pp. 1-42 [Texte probablement tiré de Jean Bagnyon]

Nombreuses traductions en Europe, puis passage vers le Nouveau Monde:

- en anglais par William Caxton, The History and Lyf of the Noble and Chrysten Prynce, Charles the Grete, Westminster, novembre 1485

- en castillan par Nicolas de Piemonte, Hystoria del Emperador Carlo Magno y de los doce pares de Francia, Séville, 1521

- en allemand, par Jean II de Simmern, Eyn schoene kurzweilige Histori von eym maechtigen Riesen auss Hispanien Fierabras geant, Simmern, Hieronimus Rodler, 1533; par Wendel Homm, Von Fierrabras dem Riesen auss Hispanien der eyn Heyd und zur Zeit der grosse Keyser Carls gelebt, Francfort sur le Main, 1594

 Fierabras a connu aussi desadaptations dramatiques et lyriques:

- Pedro Calderon de la Barca, La Puente de Mantible, joué en 1630, publié en 1636; traduction allemande de August Wilhelm von Schlegel, Die Brücke von Mantible, pièce jouée en 1811 à Bamberg (Wien, Sollinger, 1827)

- Franz Schubert, Fierabras, composé à Vienne en 1823, sur un livret de Josef Kupelwieser


(D) bibliographie 

(1) édition

H.-E. Keller, Jehan Bagnyon, L’Histoire de Charlemagne (parfois dite Roman de Fierabras), Genève, Droz, 1992

(2) bibliographie critique

G. Paris 1865, Histoire poétique de Charlemagne, Paris, Franck, pp. 98-99

H. Bordier 1872, «Jean Bagnyon, avocat des libertés de Genève en 1478», in Mémoires et documents publiés par la Société d’Histoire et d’Archéologie de Genève,17, pp. 1-38

L. Gautier 1872, La Chanson de Roland, Tours, Mame, I, pp. CXIV-CXV

Woledge 1954-1975, n. 53

A. de Mandach 1987, La Geste de Fierabras, Genève, Droz, pp. 147-162, 174-185

E.-M. Roth 1987, «Un oublié de la littérature médiévale, Jehan Bagnyon», in Au carrefour des routes d’Europe: La chanson de geste, Aix-en-Provence, CUERMA (Senefiance, 21), II, pp. 1229-1233

H.-E. Keller 1989, Autour de Roland. Recherches sur la chanson de geste, Paris, Champion, pp. 247-274

H.-E. Keller 1991, «La mise en prose de Fierabras par Jehan Bagnyon», in Romance Languages Annual, 2, pp. 118-122

H.-E. Keller 1993a, «La belle Sarrasine dans Fierabras et ses dérivés», in Charlemagne in the North, Edinburgh, Société Rencesvals, British Branch, pp. 298-307

H.-E. Keller 1993b, «Jehan Bagnyon, pseudo-chroniqueur du XVe siècle», in ‘Et c’est la fin pour quoy sommes ensemble’, Hommage à Jean Dufournet, Paris, Champion, II, pp. 783-792

F.N. Fechine Borges 2002, «Tradição e contemporaneidade no ciclo carolingio da literatura de cordel brasileira», in L’épopée romane, Actes du XVe Congrès international de la Société  Rencesvals, Université de Poitiers, CESM, I, pp. 87-95

J.D. Pinto Correia 2002, «L’épopée médiévale dans les traditions populaires portugaise et brésilienne», in L’épopée romane, Actes du XVe Congrès international de la Société  Rencesvals, Université de Poitiers, CESM, I, pp. 14-29

F. Suard 2003, «Fierabras dans trois proses françaises», in Le Rayonnement de Fierabras dans la littérature européenne, Lyon, CEDIC, pp. 157-176

B. Guidot 2007, «La formation spirituelle de l’Adversaire dans le Fier-à-Bras d’Alfred Delvau», in Gouvernement des hommes, gouvernement des âmes, Mélanges offerts à Charles Brucker, Nancy, PUN, pp. 313-322

M. Cheynet 2011, «Des géants ‘réduits’ de vers en prose»,  in Littérature et folklore dans le récit médiéval, éd. par Emese Egedi-Kovács, Budapest, Collège E.J. ELTE, pp. 133-150

Suard 2011, pp. 330-331

M. Cheynet 2015, «Joindre le chief avecques les membres» Remembrer et compiler l’histoire de Charlemagne dans la deuxième moitié du XVe siècle, thèse sous la dir. de M. Szkilnick, Université de la Sorbonne Nouvelle – Paris 3