notice rédigée par Shira Schwam-Baird


(A) la prose

- auteur: anonyme

- dédicataire: non mentionné

- datation: ante 1489 (editio princeps)

- Doutrepont 1939, p. 220

- manuscrits: aucun. Editio princeps: Valentin et Orson, Lyon, Jacques Maillet, 1489

- organisation du texte

Le frontispice indique le titre, Valentin et Orson; au verso, bois gravé représentant un roi couronné et armé à cheval, un chien courant à ses pieds (à l’arrière-plan, paysage rocheux avec villes fortifiées au sommet des collines); table des chapitres aux ff. 2r-4v.

Le prologue précède la table des chapitres. Le texte est distribué en 74 chapitres (ff. 5r-136r) introduits par des titres-résumés; la longueur varie entre une et quatorze page de l’incunable: la plupart des chapitres sont cependant relativement courts (50 couvrent moins de 4 pages, 23 entre 4 et 8 pages), seul le chapitre 19 occupe 14 pages. En général, chaque chapitre présente un ou deux épisodes, signalé(s) dans le titre; le passage d’un fil narratif à un autre est normalement indiqué par une formule d’entrelacement typique des romans en prose.

Un rapide résumé rendra compte de la diversité des motifs du «roman». Valentin et Orson sont jumeaux, fils de la sœur du roi Pépin, Bellissant, et de son mari, Alexandre, empereur de Grèce.  Bannie de la cour de son mari à cause d'une fausse accusation d'adultère, la mère exilée accouche des jumeaux en pleine forêt. Une suite d'événements les sépare tous les trois: Orson grandit comme un sauvage dans la forêt après  avoir été allaité par une ourse (d'où son nom), tandis que Valentin grandit à la cour de son oncle, le roi Pépin, sans de connaître ses propres origines; leur mère trouve refuge chez un géant sarrasin. Orson, poilu et muet, terrorise tous ceux qui entrent dans la forêt jusqu'au jour où son frère le vainc et le ramène à la cour, où commence son éducation. Une rencontre avec une tête d'airain surnaturelle révèle la vérité sur les origines nobles des frères et sur le fait qu'Orson ait pu retrouver la parole. Devenus preux chevaliers, les jumeaux combattent contre des Sarrasins, des géants, un dragon, et aussi contre leurs cousins malveillants, Henry et Hauffroy (fils bâtards de Pépin). A mi-chemin du récit, Valentin et Orson retrouvent leurs parents, mais cela ne met pas fin à leurs aventures. L'amour, de multiples emprisonnements et libérations, souvent grâce aux sortilèges du sorcier Pacolet et avec son cheval de bois volant, font partie de la continuation prolixe de cette mise en prose par rapport à son hypothétique source rimée. La fin de l'histoire est plutôt sombre. Au cours d'une des nombreuses guerres contre les Sarrasins, Alexandre, le père des jumeaux, se déguise en Sarrasin pour surprendre ses ennemis. Valentin, ignorant le stratagème, l'attaque et le tue. Désespéré d'avoir commis ce parricide involontaire, il se lance dans une vie de pénitence à l'instar de saint Alexis, séjournant quelque temps sous l'escalier de son propre palais sans être reconnu même de sa femme Esclarmonde. Comme saint Alexis, Valentin n'est reconnu qu'après sa mort. Orson, veuf, quittera  le trône et terminera sa vie en ermite dévot.

 


(B) la source

Le titre Valentin et Sansnom, calqué sur celui de la rédaction allemande, est hypothétique: les spécialistes s’accordent sur l’existence d’une version rimée en français de la première moitié du XIVe siècle, dont la preuve se trouverait dans les versions en d’autres langues qui font référence à une source française. La plus complète en est Valentin und Namelos en moyen bas-allemand (première moitié du XVe siècle); d’autres versions, complètes ou fragmentaires, existent en moyen néerlandais (XIVe siècle), en ancien suédois (XVe siècle) et en moyen haut-allemand (XVe siècle). Par rapport à ces versions, la prose française amplifie le récit, en ajoutant quarante chapitres supplémentaires (34 dans la source), en multipliant les motifs, les épisodes et les personnages. On pourra citer, par exemple, l’introduction de la reine sarrasine Rozemonde, qui s’éprend de Valentin, à son tour amoureux de la princesse sarrasine Esclarmonde, qu’il épousera par la suite; l’enlèvement d’Esclarmonde par le roi sarrasin Trompart, qui provoque le départ de Valentin à la recherche de sa bien-aimée; des guerres entre les rois sarrasins dans lesquelles Valentin intervient; et les aventures souvent malicieuses de Pacolet, impliqué dans les affaires des rois sarrasins.

 


(C) histoire de la prose

La liste ci-dessous est basée sur celle de l’édition Schwam-Baird 2011, avec des additions et des corrections: 

Lyon, Jacques Arnoullet 1495

Paris, Veuve Jean Trepperel et Jean Janot, s.d. [ca 1511-1525]

Lyon, Olivier Arnoullet, 1526

Lyon, Olivier Arnoullet, 1539

Paris, Jean Bonfons, 1540

Paris, Alain Lotrian, s.d. [ca 1540]

Paris, Alain Lotrian et Denis Janot, s.d.

Paris, Veuve Jean Bonfons, s.d. [1569-1572]

Lyon, Benoît Rigaud, 1579

Paris, Nicolas Bonfons, 1583

Lyon, Benoît Rigaud, 1590  

Lyon, s.n., 1591

Paris, Nicolas et Pierre Bonfons, s.d.

Nombreuses éditions au XVIIe siècle:

Rouen, Pierre Mulot, s.d. [début du siècle]

Lyon, Pierre Rigaud, 1605  

Troyes, Nicolas I Oudot, 1614

Lyon, Jean Huguetan, 1615

Lyon, Etienne Tantillon, 1621

Rouen, Veuve Louis Costé, s.d. [ca 1620]; s.d. [ca 1620-1625]

Troyes, Nicolas Oudot, 1655  

Troyes, Yves Girardon, s.d.

Troyes, Jacques Oudot, 1698; 1700

Lille, J. Fourray, s.d.  

Editions des XVIIIe et XIXe siècles:

Troyes, Veuve Jacques Oudot, 1712; 1719; 1723; 1723

Troyes, Pierre Garnier, 1726

Troyes, Jean Garnier, s.d.

Rouen, Pierre Seyer, s.d. (ca 1760)

Montbéliard, Deckherr, s.d. [XIXe s.]

Rouen, Lecrêne-Labbey, s.d. [première moitié du XIXe s.]

Montbéliard, Deckherr Frères, 1846

Epinal, Pellerin et C.ie, 1846

- traductions anciennes: Valentine and Orson, 1503-1505?, Westminster, Wynken de Worde [traduit par Henry Watson]; éd. par A. Dickson, London – Oxford, Humphrey Milford – Oxford University Press, 1937 [Cambridge, D.S. Brewer, 2000]. [La première édition de la traduction Watson ayant survécu en état fragmentaire, Dickson a basé son édition critique sur la deuxième édition connue, datée 1548-1558: cf. Dickson 1937, pp. xi-xii, xviii]. 

 


(D) bibliographie 

(1) éditions

S. Schwam-Baird, Valentin et Orson: An Edition and Translation of the Fifteenth-Century Romance Epic, Tempe, AR, ACMRS, 2011

(2) bibliographie critique:

C. Nisard 1854, Histoire des livres populaires ou de la littérature du colportage, Paris, D’Amyot, II, pp. 473-475

J.R. Harris 1924, «Valentine and Orson: A Study in Twin-Cult», in Contemporary Review, 126, pp. 323-331

A. Dickson 1929, Valentine and Orson: A Study in Late Medieval Romance, New York, ColumbiaUniversity Press [New York, AMS Press, 1975]

A.H. Krappe 1932, «Valentine and Orson», in Modern Language Notes, 47/8, pp. 493-498. Réponse de A. Dickson, in MLN, 48/3, 1933, p. 207. Réplique de A.H. Krappe, in MLN, 48/7, 1933, p. 485

Woledge 1954-1975, n. 188

H. Lühmann 1974, Valentin und Orsus. Deutsche Version (1521) und französisches Original (1489). Vergleich und Strukturanalyse, Berlin, Selbstverlag, 1974

R. Colliot 1982, «Un prédecesseur de Tartuffe: l’archevêque de Constantinople dans Valentin et Orson», in Mélanges Jean Larmat: Regards sur le Moyen Age et la Renaissance (histoire, langue et littérature), Paris, Les Belles Lettres, pp. 69-78

D. Régnier-Bohler 1983, «Exil et retour: la nourriture des origines», in Médiévales,5, pp. 67-80

R. Colliot 1984, «Le Prêtre séducteur dans les fabliaux et dans un remaniement épique du XVe siècle», in Epopée animale, fable, fabliau,Paris, PUF, pp. 141-155

D. Bohler 1988, «Jumeaux par contrat», in Genre humain, 16, pp. 173-187 (p. 176)

N.E. Burkert 1989, Valentine & Orson, New York, Farrar, Straus and Giroux

M. Szkilnik 1994-1995, «Pacolet ou Les infortunes de la magie», in Le Moyen Français, 35-36, pp. 91-109

L. Andriès 1999, «La métamorphose animale dans Mélusine et Valentin et Orson», in Topiques romanesques: réécriture des romans médiévaux (XVIe-XVIIIe siècles), Ateliers, 22, pp. 53-63

H. Cooper 1999, «The Strange History of Valentine and Orson», in Tradition and Transformation in Medieval Romance, Cambridge, Brewer, pp. 153-168

L. Andriès 2000, «Mélusine et Orson: deux réécritures de la Bibliothèque Bleue», in La Bibliothèque Bleue et les littératures de colportage, Paris – Troyes, Ecole des chartes – La Maison du Boulanger, pp. 79-92

H. Blom 2001, «Valentin et Orson et la Bibliothèque bleue», in L’épopée romane au Moyen Age et aux temps modernes,Napoli, Fridericiana, pp. 611-625

L. Andriès 2002, «L'Ours et la fée: Réécritures romanesques de la Renaissance aux Lumières», in Le Travail des Lumières: Pour Georges Benrekassa, Paris, Champion, pp. 643-659

E. Poulain-Gautret 2002, «Orson, enfant sauvage et sauvage-enfant (d’après Valentin et Orson)», in Enfants sauvages, Cahiers Robinson, 12, pp. 75-86

S. Schwam-Baird 2002, «Terror and Laughter in the Images of the Wild Man: The Case of the 1489 Valentin et Orson», Fifteenth-Century Studies, 27, pp. 238-256

J.-H. Grisward 2003, «Couples héroïques, structures épiques et images du pouvoir: l’exemple de Valentin et Orson», in Pouvoir, liens de parenté et structures épiques, Médiévales, 28, pp. 65-81

E. Poulain-Gautret 2005, «De la confusion des genres? Une adaptation contemporaine de Valentin et Orson», in L’epique médiéval et le mélange des genres, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, pp. 267-282

B. Ferrari 2007, «Expressions figurées dans le roman de Valentin et Orson», in Le Moyen Français, 60-61, pp. 233-246

S. Schwam-Baird 2007, «A Husband to Her Liking: The Wily Saracen Queen Rozemonde in the 1489 Valentin et Orson», in Olifant, 26/1, pp. 45-66

L.Z. Morgan 2008, «La machine infernale: les merveilles mécaniques dans la chanson de geste», in Por s'onor croistre. Mélanges de langue et de littérature médiévales offerts a Pierre Kunstmann, Ottawa, David, pp. 103-120

S. Schwam-Baird 2008, «The Romance Epic Hero, the Mercenary, and the Ottoman Turk Seen through the Lens of Valentin et Orson (1489)», in Medievalia et Humanistica, 34, pp. 105-127

F. Suard 2009, «Figures du romanesque dans l’épique de la fin du Moyen Age», in Le Romanesque aux XIVe et XVe siècles, Presses Universitaires de Bordeaux, pp. 139-157 (pp. 154-157)

E. Poulain-Gautret 2010, «Adapter le combat épique à la prose, translation et création: le motif de la place assiégée dans Ogier le Danois, Valentin et Orson, Les Trois fils de rois», in Mettre en prose aux XIVe-XVIe siècles, Turnhout, Brepols, pp. 215-223

P.-O. Dittmar, C. Maillet, A. Questiaux 2011, «La chèvre et la femme. Parentés de lait entre animaux et humains au Moyen Age», in Images re-vues, 9 [en ligne]

M. Jeay 2011, «L’aventure du roman dans Valentin et Orson», in Les genres littéraires en question au Moyen Age, Presses Universitaires de Bordeaux, pp. 17-29

F. Suard 2011, Guide de la chanson de geste et de sa postérité litéraire (XIe-XVe siècle), Paris, Champion, pp. 349-350

M. Jeay 2012, «Valentin et Orson, figures duelles et archétypales. Idiotie et sainteté au Moyen Age», in Idiots. Figures et personnages liminaires dans la littérature et les arts, Nancy, Presses Universitaires de Lorraine, 2012, pp. 77-91

S. Schwam-Baird 2014, «La longue vie de Valentin et Orson», in Pour un nouveau répertoire des mises en prose. Romans, chansons de geste, autres genres, Paris, Classiques Garnier, pp. 297-306

M. Colombo Timelli 2015, «Valentin et Orson, de Lyon à Paris», in Carte romanze, 3/1, pp. 313-332, 352-358

S. Cappello 2021, «Cycles iconographiques et éditions perdues: les incunables lyonnais de Valentin et Orson», in L’Europa o la lingua sognata. Studi in onore di Anna Soncini Fratta, Città di Castello, I libri di Emil di Odoya, pp. 303-312